[#INTERVIEW] Fabien Ségui

Facettes des mobilités de demain : l'exploitation ferroviaire, cette nébuleuse de métiers au coeur de la circulation des trains.

Dans cette série d’entretiens, nous abordons les multiples facettes des mobilités de demain avec des experts en rapport avec l’énergie et le ferroviaire. Dans cet épisode, Fabien Ségui, expert en exploitation ferroviaire à Marseille, nous permet de mieux comprendre l’ensemble des métiers au cœur de la production de circulation. Il nous détaille les principales évolutions que cette spécialité a connu au cours des années, comment la SNCF et l’ensemble du métier se sont adaptés, ainsi que quelques prévisions impactant le futur de la mobilité ferroviaire.

Comment définiriez-vous l’exploitation ferroviaire? Et quelle est sa place dans le système ferroviaire ?

[Fabien Ségui] L’exploitation ferroviaire n’est pas un métier au sens propre du terme. C’est un assemblage des métiers supportant la production de la circulation ferroviaire, c’est-à-dire le transport de voyageurs et de fret.

Parmi les métiers concernés, on peut citer les métiers de la gestion des circulations (postes d’aiguillage et postes de commandement régionaux), de la gestion de la production ferroviaire de transport de voyageurs (gestion et maintenance du matériel, conduite et accompagnement des trains, gestion des trains en gare, accueil des clients, commercialisation des titres de transport, ….), de la gestion de la production ferroviaire de transport de fret (gestion et maintenance du matériel, conduite des trains, opérations de tri, de dessertes, de préparation des trains dans les gares et sites de desserte, …), de la maintenance de l’Infrastructure (Voie, Ouvrages d’art et ouvrages en terre, installations de signalisation, installations d’alimentation électrique, de télécommunication ..), de la gestion des gares. Tous ces métiers, j’espère ne pas en avoir oublié, concourent à la qualité globale de l’exploitation ferroviaire.

L’exploitation a toujours été un système de métiers au sein du système ferroviaire plus large. Avec les époques, ce dernier a significativement évolué, et généré une nécessité permanente d’évolution de ces métiers, empreinte de complexification, de recherche de qualité, d’évolution technologique, d’évolution d’organisation.

 

(c) Cas Holmes
(c) Cas Holmes
Par exemple ?

[Fabien Ségui] Les différentes réformes du monde ferroviaire ont entraîné des évolutions d’organisations nombreuses et importantes.

Ainsi, les métiers de la circulation et de la maintenance de l’Infrastructure sont regroupés chez SNCF Réseau, dont une des missions essentielles est aussi d’affecter les capacités horaires en ligne et dans les gares aux différentes entreprises ferroviaires en faisant la demande. L’ouverture du réseau à la concurrence exige un fonctionnement impartial et conforme à la réglementation à ce sujet. Un organisme national (Autorité de Régulation des transports) en est le “surveillant”.

Par exemple, dans une gare voyageurs, certains quais sont proches des accès aux transports urbains, et sont convoités par certains opérateurs. Dans une gare de fret, une voie contenant un quai peut être demandée à certaines heures de la journée par plusieurs opérateurs ferroviaires. Au final, tous les opérateurs ont des préférences, émettent des demandes qu’il faut tenter de satisfaire au mieux dans le respect des règles établies. Ainsi les métiers concernant les transports de voyageurs et de fret ont dû également s’adapter, avec bien sûr des différences significatives selon les opérateurs (par exemple de la polyvalence plus importante chez certains).

Les évolutions technologiques concernent bien sûr tous les métiers et nécessitent une adaptation et une formation permanente.

Le rôle grandissant des Autorités Organisatrices (Les Régions administratives par exemmple, désormais propriétaires du matériel roulant, en charge du financement et de l’organisation des transports quotidiens) a un impact fort sur l’exploitation du trafic voyageur régional.

La recherche de qualité et l’amélioration des coûts engendrent l’optimisation de l’utilisation des rames et locomotives et la création d’organismes centralisateurs de supervision ( trafic IDF, TER, Gestion des parcs, Prise en charge des clients, Gestion des crises).

Tout ceci fait qu’obtenir une vision exhaustive de tous les métiers de l’exploitation est devenu très difficile. Mon parcours fait de moi un des anciens exploitants en contact avec de très nombreux métiers, mais je n’ai malgré tout pas de connaissance approfondie de la conduite par exemple. Mon expertise se limite aux problèmes de circulation, de production voyageur et marchandises et de système d’exploitation.

 

 

(c) Gift Habeshaw
Et comment les métiers de l’exploitation sont-ils reliés au reste du système ferroviaire ?

[Fabien Ségui] Toutes ces spécialisations de l’exploitation sont en évolution constante, de par les innovations techniques qu’elles adoptent, les changements sociétaux et les réorganisations. Le risque est que cette hyper spécialisation nuise à la fluidité du système. Ainsi il est important de maintenir une veille transverse à l’exercice de tous ces métiers, pour en garantir une cohérence globale. Le niveau de la sécurité des circulations ferroviaires en dépend, mais le reste aussi.

Les Organisations de l’Exploitation diffèrent selon les métiers et activités. On peut y trouver de la dimension territoriale locale ou régionale, mais aussi nationale.  Le plus souvent, des structures sont dédiées à la production et intègrent un ou plusieurs métiers.

Obtenir une vision exhaustive de tous les métiers de l'exploitation est devenu très difficile.

Quels sont les projets intéressants auxquels vous avez participé ?

[Fabien] Parmi les  nombreux sujets prenant et passionnants que j’ai eu à traiter au cours de mon parcours à la SNCF, je citerai : 

La mise en œuvre des “35 heures” dans mon entité de production. Les entreprises qui traversent les époques sont tenues de s’adapter aux évolutions technologiques mais aussi sociétales. Les entreprises historiques connaissent souvent de ce fait une pression sociale importante, que l’ensemble de la chaîne hiérarchique doit concourir à réguler. Ainsi le domaine social représente une part souvent importante de leur activité. 

J’ai également été chef de gare à Marseille, à l’époque où on utilisait encore ce titre. J’y ai contribué au développement du concept d’escale. Avant ce travail, les métiers en gare étaient scindés en deux : le transport (aiguillages, assemblage des trains, départs …) et le commercial (accueil, ventes de billets …). La notion d’escale a regroupé tous les métiers contribuant à la prise en charge du client depuis son arrivée en gare jusqu’au départ de son train. La notion d’agent d’escale a ainsi vu le jour. 

Toujours à Marseille, en tant que dirigeant d’unité opérationnelle, j’ai participé à l’arrivée de la LGV Méditerranée. Cela a nécessité également le remplacement du poste d’aiguillage électrique par un poste d’aiguillage à commande informatique de nouvelle génération, le PRCI de Marseille en était le prototype. Il combinait les technologies électriques et informatiques et a permis d’augmenter significativement le trafic dans la gare. Ce fut une riche expérience pour tous, bien que parfois un peu difficile. Au-delà de la technologie nouvelle pour l’époque, le point le plus marquant fut l’implication des futurs utilisateurs d’un système à sa conception. Par le passé, en étant quelque peu réducteur, les techniciens concevaient un système et les utilisateurs se débrouillaient avec. La SNCF a compris assez tôt qu’impliquer les futurs opérateurs  dans la conception permettrait d’obtenir de bien meilleurs produits et une meilleure adoption par les agents. 

Au Maroc, j’ai participé à la mise en service d’une LGV. J’y étais responsable de tout le volet exploitation, hormis la maintenance, et ce fut également une merveilleuse expérience.

(c) Christian Tokoto

La principale évolution que je constate est donc probablement la capacité de gérer des projets de plus en plus épineux, en impliquant très tôt les utilisateurs et en adoptant une approche agile de la spécialisation et de la fragmentation croissantes des métiers.

Au cours de cette carrière, quelles évolutions majeures avez-vous constaté ?

[Fabien] L’évolution du ferroviaire, et de l’exploitation en particulier, a suivi les progrès technologiques et les mutations de la société. 

L’ouverture à la concurrence, par exemple, a profondément modifié le système ferroviaire. Un exemple très simple à comprendre est celui de l’affichage des trains. Il doit maintenant présenter les trains concurrents de ceux de la SNCF de manière uniforme. Le résultat qui paraît minime est déjà un défi logistique.

L’arrivée de technologies comme le positionnement satellite a permis le développement d’avancées dans la signalisation, comme ERTMS. Cela a un gros impact sur l’infrastructure, et sur l’exploitation, puisque la densification du trafic doit en résulter.

L’équilibre délicat que doit gérer la SNCF (comme les autres entreprises ferroviaires) est celui de la spécialisation des métiers. Sans spécialisation, il est très difficile de se professionnaliser. Avec une sur-spécialisation, il devient très complexe de gérer des sujets transverses. Or tous les sujets impliquant des intérêts contraires des diverses branches sont ingérables de manière verticale. On adopte donc une approche itérative de spécialisation suivie aussi rapidement que possible par du travail de transversalité, en boucle. 

La principale évolution que je constate est donc probablement la capacité de gérer des projets de plus en plus épineux, en impliquant très tôt les utilisateurs et en adoptant une approche agile de la spécialisation et de la fragmentation croissantes des métiers, comme détaillé plus tôt.

Trains régionaux dans la gare de Marseille Saint Charles
(c) Pascal Jappy

 

Et que percevez-vous comme changements dans le futur proche ?

[Fabien] Je m’attends à une continuation de cette tendance. Avec comme exemples concrets : 

La gestion des circulations : il va falloir continuer à professionnaliser le traitement des multiples entreprises ferroviaires en concurrence. Depuis la réforme de 2018, Gares et Connexions est devenue une entité de SNCF Réseau dans ce but.

Comme évoqué plus tôt, la modernisation de la signalisation va se poursuivre avec l’ERTMS et d’autres technologies innovantes. Cela nécessite de gros investissements et a d’importantes répercussions sur tout le système ferroviaire, que ce soit en infrastructures ou en exploitation.