Facettes des mobilités de demain : Architecture
Dans cette série d’entretiens, nous abordons les multiples facettes des mobilités de demain avec des experts en rapport avec l’énergie et le ferroviaire. Dans ce numéro, Grégoire Bignier, co-fondateur de l’agence d’architecture B+M spécialisée dans les domaines des infrastructures de transports et du Patrimoine, et membre du réseau Aptitude Experts, répond à nos questions sur l’impact des infrastructures dans une vision plus verte de la mobilité.
On évoque rarement le coût environnemental des infrastructures. Comment peuvent-elles devenir plus vertes ?
[Grégoire Bignier] A l’apparition historique des exigences environnementales liées aux infrastructures, la prise en compte de celles-ci se faisait en effet sur la base d’un surcoût budgétaire par rapport à des projets courants. Cependant, très vite, cette analyse a internalisé les conséquences de l’amélioration des conditions d’une meilleure utilisation de ces infrastructures (pollution, santé, amélioration de l’accessibilité et de la mobilité, etc…) et du cadre de vie (perméabilisation des sols, absence d’incivilités dues à la perception négative des ouvrages, etc…). Dès lors, l’analyse multi-critère du projet d’une infrastructure intègre à présent ces impacts positifs. Par ailleurs, les concepteurs ont su innover et développer des solutions qui allient coût et satisfaction des attendus de la maîtrise d’ouvrage.
Quel rôle l’architecture peut-elle jouer dans les sujets qui préoccupent les autorités organisatrices de la mobilité ? Comment peut-elle garantir un investissement public vertueux?
[G.B.] Il est certain que l’esthétique des derniers ouvrages d’art qui sont apparus ces trois dernières décennies n’ont plus rien à voir avec leurs prédécesseurs, souvent lourds et disgracieux. Le viaduc de Millau en est l’exemple le plus célèbre.
De plus, la prise en compte fine des usages qui leur sont liés, le partage de cet espace public entre plusieurs modes de transports ont pu avoir un effet d’apaisement dès lors que l’architecture a su les décliner au sein d’une nouvelle génération d’infrastructure. On a vu émerger par exemple des pôles intermodaux qui n’ont plus rien à voir avec les gares routières des années soixante: partage de l’espace public, lisibilité de leur fonctionnement malgré la multiplicité des modes de transports, qualité du mobilier urbain, gestion dynamique des systèmes de signalisation sont devenus des modalités courantes mises en oeuvre par les architectes.
Quelles sont les phases les plus critiques de la conception d’une infrastructure (comme un ouvrage d’art) pour garantir qu’elle s’inscrit bien dans une logique de développement durable ?
[G.B.] L’expérience des analyses de cycles de vie (ACV) sur la base de la norme ISO 14040 a été riche en enseignement pour la conception des ouvrages d’art.
Organisation des méthodes de conception dont le BIM en est la plus récente évolution, filières de matériaux renouvelables comme le bois, chantier propre vis-à-vis de la biodiversité, économie d’énergie en phase de fonctionnement ou intégration de la question du démantèlement futur de l’ouvrage ont été les principaux progrès issus de la prise en compte du développement durable dans la conception des infrastructures. Celles-ci ne sont plus vues comme immuables, mais plutôt comme dynamiques et en interaction avec la ville et l’environnement.
Après avoir proposé des projets plus conformes aux attentes esthétiques des usagers de la ville, les architectes doivent à présent engager une démarche conceptuelle plus conforme aux exigences environnementales de notre époque."
Grégoire Bignier Tweet
Quels sont les freins chez les donneurs d’ordre au moment de choisir une approche innovante ou qui tranche avec les habitudes ?
[G.B.] Essentiellement, d’après moi, à cause de la “dépendance au sentier” (inertie des habitudes de pensée) qui reste très forte dans le monde des infrastructures, malgré les efforts accomplis décrits précédemment.
Il est souvent recherché une esthétique tape-à l’oeil au détriment d’une insertion fine de l’ouvrage d’art dans le site, ou un coût d’investissement réduit au maximum, plutôt qu’une prise en compte de son coût global, bien que celui-ci soit aujourd’hui bien maîtrisé.
De même, et cela est paradoxal, l’intégration du bilan carbone dans l’appréciation de la valeur d’un projet a renforcé par commodité l’attrait pour des solutions ultra-standardisées au détriment de conceptions innovantes. Contrairement au monde du bâtiment, celui des infrastructures n’a pas fait sa révolution “copernicienne”.
L’intégration du bilan carbone dans l’appréciation de la valeur d’un projet a renforcé par commodité l’attrait pour des solutions ultra-standardisées au détriment de conceptions innovantes.
Grégoire Bignier Tweet
Est-ce que l’architecture peut accélérer l’évolution vers des mobilités plus vertes et efficaces ?
[G.B.] Oui, à condition que les architectes s’emparent de tous les aspects précédemment décrits plutôt que de proposer des projets qui flattent d’abord l’ego de leur commanditaires. Après avoir proposé des projets plus conformes aux attentes esthétiques des usagers de la ville, ils doivent à présent engager une démarche conceptuelle plus conforme aux exigences environnementales de notre époque.