[#INTERVIEW] Olivier Chamouton : Système ferroviaire et générations d’infrastructures

Facettes des mobilités de demain : Système ferroviaire et générations d'infrastructures

Dans cette série d’entretiens, nous abordons les multiples facettes des mobilités de demain avec des experts en rapport avec l’énergie et le ferroviaire. Dans ce numéro, Olivier Chamouton, spécialiste de la signalisation qui a bien voulu nous accorder quelques minutes au moment de son départ en retraite, répond à nos questions concernant la notion de système ferroviaire et les différentes générations d’infrastructures qui cohabitent dans le réseau national. Il nous explique entre autre pourquoi aucun projet innovant ne peut faire abstraction de cet héritage du passé.

Comment peut-on définir la notion de système ferroviaire ?

[Olivier Chamouton] On ne peut parler que de système ferroviaire car pour fonctionner un train a besoin d’une voie ferrée, cette dernière est obligatoirement portée par des ouvrages d’art (pont, tunnel ) mais repose aussi sur une structure d’assise. Pour alimenter le train, il faut de l’énergie (portée par la caténaire) et, pour la sécurité, il faut un système de signalisation et de télécommunication. J’ajoute que pour la pérennité du système il faut réaliser de la maintenance aussi bien sur l’infrastructure que sur le matériel roulant. Il apparaît alors évident que dès que l’on modifiera un élément du système, l’ensemble sera forcément impacté. La notion de système ferroviaire, c’est la prise en compte de cette interdépendance de tous les éléments cités.

(c) Agata Grochala
Pourquoi est-il indispensable de s’intéresser à cette vision globale plutôt qu’à chaque spécialité isolément ?

[O.C.] Il n’est pas possible, aussi bien en étude qu’en travaux, de raisonner uniquement par spécialité sans mettre en péril l’ensemble du système. L’expérience et l’analyse des accidents de chemin de fer démontre que raisonner uniquement par spécialité est une voie en impasse qui ne mène à rien d’exploitable et génère des risques pour les biens et les personnes. 

Dans un projet ferroviaire, est-ce que l’on peut se fier à un simple cahier de spécifications ?

[O.C.] Non par exemple il faut à minima se poser les bonnes questions avant de faire quoi que ce soit.

Par exemple : un jour on m’avait demandé de dire combien coute une installation de DBC (Détecteur de Boîtes Chaudes). Ainsi formulée, la question n’a pas de sens, car alors il faut se poser des questions du genre : est-ce une voie unique ou une double voie (coût multiplié par deux), est-ce banalisé , car alors le coût est encore multiplié par deux, y-a-t’il des voies d’évitement ? …… etc

Mais faire ce travail essentiel en amont évite de coûteux et dangereux désagréments par la suite.

L'expérience et l'analyse des accidents de chemin de fer démontre que raisonner uniquement par spécialité est une voie en impasse qui ne mène à rien d'exploitable et génère des risques pour les biens et les personnes.

Combien de “générations” d’infrastructures ferroviaires cohabitent aujourd’hui sur le réseau Français ? Les plus anciennes représentent-elles une part suffisamment importante du réseau pour qu’on s’en préoccupe ?

[O.C.] Depuis la naissance du chemin de fer on peut, sans être exhaustif et sans parler des spécificités régionale, identifier au moins sept génération de postes d’aiguillages coexistant et en fonctionnement actuellement sur le réseaux français. Par exemple, les tout relais à transit souple (PRA – PRAW – PRS – PRS-GS) des années 60, les tout relais à câblage géographique (PRG – PRGS) des années 70, ceux à relais à commande informatique (PRCI – PRSI – PRCL)  des années 80 (encore 10% des PN d’aujourd’hui, environ), les postes d’aiguillage informatiques (PAI), postes informatiques à base de technologie PC (PIPC) et les systèmes d’enclenchement Intégrés (SEI) des années 2000. Et c’est sans parler des postes mécaniques enclenchés, encores plus anciens (après-guerre).

Sur un tableau avec à peu près les dates périodes d’apparition de ces générations, on constate aisément que les plus anciennes ne sont pas anecdotiques mais représentent encore une part importante de nos infrastructures. [NDR: Nous rentrons un peu plus dans le détail dans une prochaine interview]

 
passage à niveau ancien
(c) Robin Edqvist

Les formations sont utiles lorsque le personnel en charge du projet va travailler sur des infrastructures peu communes et peu documentées. Elles s'imposent lorsque les équipes sont peu expérimentées et que le risque est jugé comme important et inacceptable.

Au-delà de la variété des spécialités à considérer, comment prend-on en compte ce facteur temps ?

[O.C.] Le facteur temps est parfois très mal évalué et bien des technologie sont orphelines des personnes qui les ont conçues et qui sont les plus aptes à les entretenir. Pour les postes informatique, c’est encore pire, et les modules de première génération sont voués à une mort certaine.

Pour gérer un projet comportant des infrastructures d’époques différentes, il est important commencer par obtenir la connaissance exacte des infrastructures à modifier. Le maître d’ouvrage doit réaliser les investigations les études préliminaires, la recherche et l’acquisition des référentiels, et former le personnel de MOE en charge des études et travaux.

Le management de projet a développé des outils d’aide à la décision pour le maître d’ouvrage qu’il devra utiliser pour limiter les risques financiers et sécuritaires : l’analyse de la valeur (rentabilité et possibilité d’assurer durablement la maintenabilité) et l’analyse de risque qui permet d’estimer les sommes à prévoir afin de gérer correctement les risques liés aux modifications des anciennes technologies.

Quelle est l’importance de la formation, de la transmission du passé dans la réussite de projets modernes ?

[O.C.] Dand un projet ferroviaire, on ne peut se projeter dans l’avenir sans connaître son passé, parfois pour éviter des erreurs déjà commises. Les formations sont utiles lorsque le personnel en charge du projet va travailler sur des infrastructures peu communes et peu documentées. Elles s’imposent lorsque les équipes sont peu expérimentées et que le risque est jugé comme important et inacceptable.