Spécificités ferroviaires de la gestion de crises
A l’occasion d’une formation sur la gestion des évènements ferroviaires dans le cadre d’une exploitation ferroviaire, nous avons interrogé un des nos experts voie sur la nature et la gestion des crises ferroviaires, dans un contexte portuaire et sur des lignes classiques.
Vous enseignez l’exploitation ferroviaire dans un cadre portuaire. Quelles sont les particularités de contexte?
Contrairement aux voies ferrées bien isolées dont on a l’habitude, dans un port, les voies sont enrobées dans un grand espace où cohabitent de nombreux modes de transport. Un marquage au sol est systématiquement présent, mais cette présence simultanée de piétons, vélos, voitures, camions, et trains est malgré tout plus accidentogène.
Et les accidents sont de ce fait toujours plus graves ?
Pas toujours. Un employé arrivant en vélo peut tomber dans l’ornière d’un rail et se blesser légèrement. C’est un petit accident de personne, une crise simple à résoudre. Mais on peut aussi envisager un camion qui manque d’attention en manoeuvrant et percute un train. Le chauffeur et le conducteurs peuvent être plus lourdement blessés. Le train peut dérailler. Si un wagon contenant des produits dangereux se couche, on peut également faire fasse à une grosse pollution. Si le train est encore en partie sur le réseau national, il peut bloquer une artère routière importante. De nombreux cas de figures peuvent se présenter, en fonction du contexte, avec des niveaux de gravité sans commune mesure les uns par rapport aux autres.
Faut-il âgir plus vite dans les cas les plus graves ?
Il faut être préparé à toutes les éventualités. On arrive le plus souvent à gérer une crise individuelle, mais il faut tout mettre en oeuvre pour que plusieurs surviennent en même temps. Ce cas de figure devient beaucoup plus complexe à gérer, et mal réagir à un premier événement indésirable peut conduire à une cascade de problèmes supplémentaires.
Ensuite, la vitesse de réaction est importante pour rétablir une circulation ou endiguer une pollution, mais on ne peut réagir efficacement que si on est bien préparé et bien organisé. C’est là l’objet de mes formations : établir, pour un contexte d’exploitation bien précis, une hierarchie de crises possibles et les réponses appropriées à chacune.
Qui est responsable dans ces crises ?
Ca dépend de la situation. Si les procédures d’évolution du réglement d’exploitation ferroviaire du site n’ont pas été respectées, par exemple, l’exploitant est en tort. Mais si un train déraille parce que l’écartement d’un rail n’est pas conforme, c’est le gestionnaire de l’infrastructure qui est en cause. C’est parfois la même entreprise, mais pas toujours.
Une particularité des accidents ferroviaires est qu'ils sont très rares mais leur résolution nécessite une parfaite exécution. La gestion d'une crise ne peut souffrir d'aucune hésitation.
En quoi consiste une gestion de crise ferroviaire ?
Elle passe avant tout par une préparation en amont. La particularité de ces accidents est qu’ils sont extrêment rares par rapport au volume de circulation, mais qu’il faut être en permanence prêt à réagir sans hésitation et avec une organisation parfaite, du fait de leur gravité potentielle et des risques d’escalade du danger.
On distingue un volet matériel, un volet managérial, et un volet communication, avec des personnes différentes au sein de l’entreprise responsables de chacun. Les managers de proximité pilotent les employés intervenant sur le terrain, au niveau matériel, pour éviter une agravation de la situation. Leurs supérieurs organisent le plus souvent la communication externe, la gestion des flux externse, et la relève d’incident. La résolution peut prendre quelques minutes ou plusieurs semaines, quel que soit le degré de préparation.
Chaque exploitant prépare une hiérarchie de crises et les réponses appropriées à chacune, puis organise des simulations périodiques pour que le personnel s’approprie toutes les procédures, qui peuvent inclure la mise en place de déviations routières, la réponse aux sollicitations des journalistes, la gestion d’un passage à niveau en panne, l’information du réseau national, des plans de transport de secours, l’organisation de la reconstruction des voies, et autres.
Il doit aussi préparer des paquets d’outils dédiés prêts à l’emploi, des check list d’actions à réaliser dans chaque situation envisagée.
Vous parlez d’expérience ?
Oui, j’ai appartenu à la cellule de crise d’une grande gare pendant dix ans, en tant que dirigeant de la maintenance des infrastructures. C’est un rôle qui vous met parfois face à des situations très complexes.
Préparer une gestion de crise ferroviaire implique d'établir une hierarchie des incidents envisageables dans un contexte précis et proposer un plan de résolution pour chaque.
Par exemple ?
Un pont au dessus du périphérique qui cède partiellement et relâche du ballast sur les automobilistes, nécessitant la mise en place d’une déviation et d’une réparation urgente. Ou l’encorbellement d’un pont qui tombe sur l’autoroute lors de la mise en service du TGV Atlantique, évitant miraculeusement toutes les voitures.
Un conducteur ivre qui percute un pont ferroviaire et provoque la chute d’un bloc de béton sur la voie juste devant un train de banlieu qui déraille, heureusement sans tomber dans la Seine, mais en arrachant les caténaires sur 4 voies sur 1km, et en causant des dizaines de blessés. Il faut comprendre que les personnes qui découvrent les lieux n’ont aucune information sur les causes de l’accident, le nombre de blessés, ou quoi que ce soit d’autre. Ils doivent agir efficacement, informer la cellule de crise mise en place et coordonner les secours. Ils ne peuvent pas se permettre d’être choqués et doivent garder leurs facultés quelle que soit la scène qu’ils découvrent. L’analyse des dégats, l’organisation des réparations et du relèvement de l’accident, l’étude du déroulement ont lieu par la suite, par phases clairement prédéfinies. Sans préparation, ce serait la panique totale.
Mais les situations peuvent être bien plus difficiles encore, lorsque les crises s’empilent. Je me souviens d’un Vendredi 30 Décembre particulièrement complexe, pendant lequel 3 accidents successifs sur une même zone, des conditions climatiques particulièrement défavorables et une période de l’année particulièrement chargée avaient créé une avalanche de crises qui a duré près de 20 heures. Ce type de situation est terrible si on ne sait résoudre qu’une crise à la fois. Il faut absolument être en capacité de gérer leur juxtaposition pour s’en sortir.