Héritage et innovation
Entre modernisation urgente du réseau, menaces sécuritaires, percées technologiques et ambitions internationales, l’actualité du secteur ferroviaire illustre la tension permanente entre héritage et innovation. En France, les alertes sur l’état du patrimoine contrastent avec l’accélération des projets industriels et l’ouverture progressive à la concurrence. Ailleurs, les records de vitesse chinois, l’essor américain ou encore les initiatives de décarbonation en Inde et au Maroc redessinent les cartes de la mobilité propre mondiale. Les grands acteurs industriels, d’Alstom à CMA CGM, multiplient les partenariats et les investissements pour renforcer leurs positions, tandis que régions et opérateurs cherchent à conjuguer performance et attractivité. Autant de signaux qui rappellent que le rail demeure à la fois une infrastructure critique, un laboratoire d’innovations et un terrain de compétition stratégique.
L'actu de ce numéro
Dossiers
- « Le patrimoine français du réseau ferroviaire est dans un état lamentable », déplore le président de la Fnaut. François Délétraz insiste sur la nécessité de renforcer l’entretien du réseau ferroviaire classique, en particulier les lignes transversales et régionales, pour éviter ralentissements et retards. Il souligne que le patrimoine ferroviaire français constitue un atout stratégique pour le transport décarboné et la mobilité à grande échelle.
- Un réseau ferroviaire à l’arrêt à cause de pirates : un scénario irréaliste ? Des chercheurs de la National University of Singapore ont simulé une « cyber-range » ferroviaire et démontré que des attaques sur les systèmes industriels peuvent paralyser un réseau ferroviaire, stoppant des centaines de trains. Les tests ont révélé des vulnérabilités dans le chiffrement et l’accès aux interfaces, suggérant que des technologies comme la blockchain pourraient renforcer la sécurité des systèmes ferroviaires et de la billetterie électronique.
- Après la RATP, la SNCF : les défis qui attendent Jean Castex, proposé pour prendre la tête de la compagnie ferroviaire. Emmanuel Macron a proposé Jean Castex, actuel patron de la RATP, pour succéder à Jean-Pierre Farandou à la tête de la SNCF, une nomination qui doit encore être validée par le Parlement. Il devra affronter rapidement les tensions syndicales liées au financement du réseau, à l’emploi, aux salaires et à l’ouverture à la concurrence, alors même que son bilan à la RATP est jugé globalement positif.
L’international
- De Boston à Washington en passant par New York: grâce à Alstom, les États-Unis goûtent enfin au train à grande vitesse. Alstom a inauguré aux États-Unis le NextGen Acela, train à grande vitesse reliant Boston à Washington via New York, avec une vitesse maximale de 260 km/h et 27 % de capacité supplémentaire. Fabriquées en grande partie localement, les 28 rames commandées modernisent le corridor du Nord-Est et marquent une étape historique pour le rail américain, malgré l’absence de véritables lignes LGV.
- La Chine prépare l’ère du 400 km/h ferroviaire. Depuis 2008, la Chine a bâti le plus vaste réseau de grande vitesse au monde (48 000 km, objectif 70 000 km en 2035), transportant plus de 16 millions de passagers par jour. Avec le projet CR450, testé jusqu’à 453 km/h, elle prépare une exploitation commerciale à 400 km/h et vise à imposer sa technologie ferroviaire à l’international.
- 2 600 passagers : le plus grand train à hydrogène du monde est indien. L’Inde s’apprête à lancer son premier train à hydrogène, rétrofité à partir d’une rame diesel et capable de transporter 2 600 passagers, ce qui en fera le plus long et le plus puissant au monde. Inscrit dans le programme « Hydrogen for heritage » (35 trains sur 8 lignes), ce projet illustre la stratégie nationale de décarbonation malgré les retards et les échecs rencontrés à l’étranger.
- Tunnel sous-marin Maroc–Espagne : de nouveaux contrats pour relancer un vieux rêve. Le projet de tunnel par le détroit de Gibraltar progresse avec de nouvelles études de faisabilité (trafic, financement, géologie) confiées à des sociétés européennes, et un contrat de communication attribué à Vodafone UK. Estimé à plus de 15 milliards d’euros pour un tunnel ferroviaire de 38,5 km, il reste freiné par d’immenses défis techniques, financiers et environnementaux, repoussant tout début de construction à l’horizon 2040.
- Le Maroc et l’Égypte s’accordent pour approfondir la mise en œuvre des accords ferroviaires, routiers et maritimes conclus en 2023. Le Maroc et l’Égypte ont réaffirmé à Rabat leur volonté d’accélérer la mise en œuvre de ces accords dans les domaines ferroviaire, routier, maritime et aérien, en renforçant échanges techniques et coopération institutionnelle. Ils ont aussi mis en avant de nouveaux projets structurants, dont l’extension du réseau ferroviaire marocain, l’amélioration des liaisons aériennes, et une collaboration accrue en formation maritime.
- « Porte d’entrée française » : ce géant maritime investit un port stratégique pour conquérir le Moyen-Orient. CMA CGM investit 200 millions d’euros pour moderniser le port syrien de Lattaquié, avec l’ambition d’en faire un hub majeur en Méditerranée orientale capable de traiter plus d’1M de conteneurs par an et connecté aux réseaux routiers et ferroviaires. Ce projet, économique et géopolitique, vise à renforcer la présence française dans une zone traditionnellement sous influence russe, malgré les défis liés aux sanctions et à l’instabilité syrienne.
- L’Ukraine inaugure la première liaison ferroviaire à l’échelle de l’UE, une « étape historique pour l’intégration ». L’Ukraine a inauguré une ligne ferroviaire de 22 km entre Uzhhorod et Chop, sa première construite à l’écartement standard européen (1 435 mm), financée par l’UE et la BEI. Cette avancée stratégique facilite la connexion directe avec Košice, Budapest et Vienne, réduisant les ruptures de charge et renforçant l’intégration ferroviaire de l’Ukraine à l’Europe malgré la guerre.
- La Turquie veut doubler la taille de son réseau ferroviaire mais ferme ses gares mythiques. La Turquie prévoit de doubler son réseau ferroviaire d’ici 2053, mais plusieurs gares historiques d’Istanbul sont menacées de reconversion culturelle au détriment de leur usage ferroviaire. Symbole de l’âge d’or des liaisons internationales, Haydarpasa — fermée depuis 2013 et promise à devenir un centre d’art — cristallise l’opposition d’associations et habitants qui réclament son maintien comme gare active.
- Plus de 12 ans après la tragédie, Lac-Mégantic se rapproche de sa voie de contournement. La construction pourra commencer dès obtention de toutes les autorisations réglementaires, les études environnementales et consultations publiques étant prochainement disponibles en ligne. Ce projet vise à sécuriser le passage ferroviaire après la tragédie de 2013 ayant fait 47 morts, alors que le Canadien Pacifique a été exonéré de toute responsabilité par la Cour d’appel en février 2025.
- Oubliez les retards du canal de Suez : la Chine construit une route ferroviaire plus rapide vers l’Europe. De nouveaux corridors ferroviaires bidirectionnels Chine-Europe, centrés sur Chongqing et intégrant l’ASEAN et des corridors via le Kazakhstan et la Turquie, permettent de réduire les délais de fret de 30-40 jours par mer à moins de deux semaines, offrant une alternative rapide et fiable face aux congestions et risques du canal de Suez.
- L’Italie et l’Autriche désormais reliées par le tunnel ferroviaire du Brenner. Le dernier diaphragme rocheux du tunnel ferroviaire sous le col du Brenner, long de 64 km et reliant l’Autriche à l’Italie, a été percé après des années de travaux commencés en 2007. Ce projet de plus de 10 milliards d’euros, le plus long tunnel ferroviaire au monde, vise à accueillir des trains à grande vitesse dès 2032 et à désengorger le col du Brenner.
- Le Canada lance une consultation sur la révision de l’ACEUM, annonce Dominic LeBlanc. Le Canada lance des consultations nationales avant la renégociation de l’ACEUM prévue en 2026, soulignant la priorité de réduire les droits sectoriels sur l’acier, l’aluminium, l’automobile et le bois d’œuvre. En parallèle, Mark Carney et Claudia Sheinbaum ont annoncé à Mexico un partenariat stratégique Canada–Mexique portant sur les infrastructures, la sécurité et l’environnement, destiné à compléter l’ACEUM.
- Le Vietnam envisage de former 140.000 travailleurs pour sa grande vitesse ferroviaire. Ce plan (horizon 2045) pourrait former 35 000 personnes en 2025-2030, grâce à des programmes allant de la construction et signalisation à la gestion et l’économie des transports.
Le plan inclut laboratoires modernes, partenariats universités-entreprises, coopération internationale et incitations pour attirer des talents, avec un financement partagé entre État, projets ferroviaires, entreprises et partenaires étrangers.
Régions
- « On reste vigilant et on évite les chutes » : dans le Loiret, le plus grand chantier ferroviaire de France avance au rythme du « train-usine ». Ce chantier vise à remplacer 70 km de voies sur la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse pour 133 millions d’euros, mobilisant 400 personnes et un train-usine automatisé pour poser 112 000 traverses et 140 km de rail. Il avance de 800 m à 1 km par jour entre Boisseaux et Les Aubrais, combinant haute technologie et interventions humaines pour garantir la sécurité et la précision de l’installation.
Entreprises
- Ferroviaire : Alstom enregistre une commande de 212 voitures et locomotives pour 1 milliard d’euros aux Etats-Unis. Alstom a décroché une commande auprès de NJ Transit pour 200 voitures Multilevel III et 12 locomotives, s’ajoutant aux 174 véhicules déjà livrés depuis 2018 afin de remplacer du matériel vieux de 40 ans. Combinée à un contrat de 538 millions d’euros en Nouvelle-Zélande, cette série d’accords porte les prises de commandes du trimestre à un niveau record estimé à plus de 6 milliards.
- Alstom : Alstom obtient la certification européenne ETCS pour ses locomotives Traxx Universal. Alstom a obtenu de l’Agence ferroviaire européenne la certification ETCS Baseline 3 pour ses locomotives Traxx Universal, garantissant leur interopérabilité sur les grands corridors européens. Cette approbation permettra aux opérateurs tchèques comme RegioJet et CD Cargo d’étendre leurs services transfrontaliers, notamment en Autriche, et de moderniser leur flotte avec la version logicielle VR01.5.
- Alstom s’engage à mettre en service les nouveaux RER B fin 2028. Les rames MI20 du RER B, construites par Alstom et CAF, devraient finalement entrer en service en 2028 au lieu de 2029, après qu’Île-de-France Mobilités a exigé un pilotage réorganisé et un calendrier resserré. Valérie Pécresse a rappelé que le plan d’action déjà en place a permis d’améliorer la régularité du RER B, passée de 85,1 % en 2023 à 89,3 % en 2025.
- Transport ferroviaire: Alstom décroche un contrat stratégique de signalisation sur la ligne Kénitra-Settat. Le contrat de 150 millions d’euros porte sur l’installation d’un système complet de signalisation et de sécurité ERTMS niveau 1 sur la ligne Kénitra–Settat au Maroc, en partenariat avec Ineo Rail et Ineolum. Ce projet modernise la ligne existante, renforce la sécurité et la capacité ferroviaire, et prépare la future ligne à grande vitesse Kénitra–Marrakech.
- FCC, Meridiam, John Laing, RATP Dev et Alstom signent un protocole d’accord pour le futur métro de Dublin. Le consortium veut concevoir, financer, construire et exploiter MetroLink, le futur métro automatisé de Dublin reliant le centre-ville à l’aéroport sur 18 km et 16 stations, avec une capacité de 20 000 passagers par heure. Le projet, prévu pour 2030, vise à réduire le trafic routier, limiter les émissions de CO₂ et renforcer la mobilité durable, en combinant expertise technique, opérationnelle et financière des partenaires internationaux.
- Le concurrent low cost des TGV de la SNCF confirme qu’il est… en retard. Kevin Speed, concurrent low cost de la SNCF avec son service « Illisto », reporte à 2030 le lancement de ses trois lignes TGV entre Paris, Lyon, Strasbourg et Lille faute d’avoir réuni les 1,2 milliard € de financement nécessaires. L’opérateur promet des rames Alstom de 750 places, des tarifs attractifs et des arrêts supplémentaires (Amiens, Reims, Verdun, Metz, Nancy, Le Creusot, Mâcon) pour concurrencer directement OuiGo et capter une clientèle plus large.
- Commande de trains SNCB : des universitaires soutiennent le recours d’ONG contre le choix de CAF. Des ONG et près d’une centaine d’universitaires belges demandent au gouvernement et à la SNCB d’écarter le constructeur espagnol CAF de l’appel d’offres de trois milliards d’euros, l’accusant d’avoir participé à une ligne ferroviaire reliant les colonies israéliennes illégales de Cisjordanie à Jérusalem-Ouest. Ce recours, soutenu également par Alstom et Siemens, est examiné par le Conseil d’État.
- Eiffage Énergie Systèmes modernise les installations sur la liaison ferroviaire Roissy-Picardie. La liaison, longue de 6 km, vise à relier Amiens et Creil à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, réduisant les temps de trajet et la charge des lignes existantes comme Gare du Nord. Le projet comprend la modernisation des postes de signalisation avec 5 SEI et 1 CAI, renforçant sécurité et performance, avec des travaux préparatoires et de câblage réalisés par Eiffage Énergie Systèmes.
- Vinci obtient un contrat de 885 millions € pour le projet ferroviaire Rail Baltica. Un consortium incluant Cobra IS (VINCI) et Elecnor a obtenu le contrat d’électrification de 870 km du projet Rail Baltica en Estonie, Lettonie et Lituanie, avec 885 millions d’euros pour Cobra IS. Le chantier, le plus important d’Europe en matière d’électrification ferroviaire, se déroulera en deux phases jusqu’en 2030 et déploiera pour la première fois à grande échelle la technologie SFC via 10 sous-stations pour un réseau plus fiable et durable.
- Alors qu’ils doivent circuler en France, les nouveaux trains à grande vitesse espagnols de Talgo s’apparentent à un accident industriel. Les rames Talgo Avril série S-106 exploitées par Renfe rencontrent des problèmes techniques sérieux : fissures dans les bogies, vitesse réduite à 250 km/h sur un tronçon concerné, et un incident informatique global le 1ᵉʳ janvier. Renfe a imposé la révision des unités affectées et infligé une sanction de 116 millions d’euros à Talgo, sans confirmer la circulation de ces trains en France sur toutes les liaisons prévues.
- La SNCF lance une nouvelle classe, très haut de gamme, à partir de janvier 2026. La SNCF lancera en janvier 2026 une nouvelle classe haut de gamme, Optimum et Optimum+, avec restauration en porcelaine et services dédiés, pour concurrencer l’Executive de Trenitalia sur les liaisons au départ ou à destination de Paris. Parallèlement, Trenitalia vise un doublement de son trafic en 2025.
- CMA CGM débarque dans le fret ferroviaire au Royaume Uni avec le rachat de Freightliner UK Intermodal Logistics. CMA CGM a annoncé l’acquisition du premier opérateur de fret ferroviaire britannique, afin de renforcer son offre intermodale au Royaume-Uni à partir de 2026.Cette opération s’inscrit dans sa stratégie d’intégration logistique globale, à l’image des rachats de CEVA, Gefco ou Colis Privé, et fait écho aux expansions similaires de MSC en Europe.
- La RATP « pressentie » pour exploiter des TER en Normandie. La Normandie a annoncé que RATP Dev est pressenti pour exploiter dix liaisons TER de l’étoile ferroviaire de Caen à partir de 2027, sous réserve de négociations et du vote des élus régionaux en décembre. Les autres lots seront ouverts à la concurrence entre 2030 et 2034, avec un premier appel d’offres prévu dès 2025.
Et aussi..
- Elle ne peut pas les détruire avec un fusil électromagnétique mais elle prend la menace au sérieux: comment la SNCF se prépare à l’intrusion de drones sur son réseau. La SNCF considère les drones comme une menace majeure pour la sécurité de son réseau critique, distinguant les usages amateurs ou criminels et les intrusions militaires. Depuis 2021, elle a développé des capacités de détection et une carte interactive en partenariat avec Drone Keeper, tout en utilisant sa propre flotte de drones pour la surveillance et la maintenance, même si la neutralisation reste du ressort des forces de l’ordre.
- En Suisse, des panneaux solaires sur les rails pour faire rouler les trains. La compagnie transN teste le système Sun-Ways consistant à installer des panneaux solaires amovibles entre les rails ferroviaires, une première mondiale validée après de strictes analyses de sécurité et conçue pour être facilement posée ou retirée. Avec 5 000 km de voies offrant un potentiel de 20 % de la production solaire nationale, ce modèle discret et réversible attire l’intérêt international, notamment celui de la SNCF qui étudie déjà une collaboration.
- Cette carte gratuite développée par un ingénieur de la SNCF va vous réconcilier avec le train. Carto Tchoo, plateforme gratuite créée par un ancien conducteur devenu ingénieur SNCF, permet de suivre en temps réel tous les trains français et d’accéder à une multitude de données techniques (retards, vitesse, signalisation, électrification, etc.)
- De l’Écosse à Venise : voici quelques-uns des trajets en train les plus pittoresques d’Europe. Un peu de rêve dans un monde technique 😉 Voir aussi: Un voyage gourmand à bord du train de l’aligot !