Le nerf de naguère
Deux startups ferroviaires ont récemment abandonné leur projet de concurrencer la SNCF, par faute de moyens. Pourtant l’opérateur national juge cette concurrence possible, elle semble doper certaines lignes et une étude récente prédit que le marché français de la grande vitesse pourrait devenir l’un des plus concurrentiels d’Europe. D’ailleurs plusieurs jeunes pousses sont encore en lice, dont la toute récente Proxima qui souhaite servir les trajets que la SNCF n’arrive pas à assurer. Mais ce sont surtout les acteurs historiques nationaux qui poussent leur proposition de valeur au-delà de leurs frontières traditionnelles. Et si les nouveaux entrants peinent à se faire une place dans notre marché, c’est principalement parce que les ressources financières et techniques nécessaires pour acquérir le matériel roulant et négocier des sillons sont sans commune mesure avec une levée de fonds traditionnelle de srtartup. L’argent reste ici, logiquement et légitimement, le nerf de la guerre.
En revanche, constater que le prix du billet est devenu le principal cheval de bataille des voyageurs est plus troublant, alors que le ferroviaire offre surtout des avantages environnementaux et de maillage. Comment espérer réalistement que de nouvelles entreprises puissent bousculer et survivre dans un marché complexe et fortement subventionné, si la principale considération est purement pécuniaire? Difficile de ne pas penser que, dans ce contexte, l’argent seul est le nerf de naguère.
L'actu de ce numéro
Dossiers
- La concurrence ferroviaire se joue entre grands. Alors que Midnight Trains est la seconde startup ferroviaire à jeter l’éponge sur le territoire français ce trimestre, le constat sur la concurrence est qu’elle est possible, mais réservée aux plus gros acteurs du paysage.
- Alstom poursuit sa reconquête de la confiance du marché. Pour Les Echos, le constructeur ferroviaire remet son bilan sur les rails. Et le changement de gouvernance est aujourd’hui entériné, Philippe Petitcolin, ex-directeur général de Safran, devenant Président. Le numéro 2 mondial, rescapé inattendu signe aussi son retour avec de beaux contrats (modernisation de 300 km de voie ferrée dans la province de Kinshasa, 70 locomotives pour Mercitalia, 12 TGV probables pour la startup Proxima, 10 trains pour le métro londonien).
- Le prix avant tout: Ni la ponctualité, ni l’écologie : voici le premier critère des voyageurs qui prennent le train. Selon une enquête du cabinet Wavestone, 39 % des passagers estiment que la baisse des prix des billets doit être la priorité des compagnies ferroviaires, bien avant la ponctualité ou la réduction de l’impact environnemental. Cette priorité varie avec l’âge, les 45-64 ans y accordant plus d’importance. L’ouverture à la concurrence et la réduction des péages ferroviaires sont suggérées pour y parvenir.
L’international
- TGV Kénitra-Marrakech : l’Espagne arrache un marché à la France. Le groupe espagnol Ineco a remporté le marché stratégique d’assistance à maîtrise d’ouvrage de l’ONCF pour l’extension de la Ligne à Grande Vitesse (LGV) jusqu’à Marrakech, pour 1,309 milliard de dirhams, devançant le français Egis Rail. Ce projet inclut la mise en place d’infrastructures ferroviaires entre Kénitra et Marrakech, avec l’objectif de démarrer la LGV avant 2030.
- Mobilités : l’interconnexion ferroviaire reste encore à bâtir au sein de l’UE. L’interconnexion ferroviaire au sein de l’UE reste insuffisante, menaçant la réalisation de projets majeurs pour la décarbonation des transports, alors que les élections européennes pourraient influencer ces initiatives cruciales. Malgré des avancées réglementaires, le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) doit encore progresser pour atteindre les objectifs fixés.
- Plan de relance européen : la France décroche de nouvelles subventions. Le 5 juin, le gouvernement a annoncé que la France avait obtenu 7,5 milliards d’euros de subventions européennes pour des projets de fret ferroviaire et de bornes de recharge routières, confirmant ainsi l’atteinte de 39 objectifs du plan de relance. Depuis 2021, la France a reçu 30,9 milliards d’euros, avec deux demandes supplémentaires en attente pour un montant total de 40 milliards d’euros.
- Vers un renforcement du fret ferroviaire à travers les Alpes. Le Conseil national suisse a adopté trois motions pour renforcer le fret ferroviaire à travers les Alpes, visant à transférer davantage de marchandises de la route au rail, malgré l’opposition de l’UDC et des réticences du Conseil fédéral. Ce renforcement est stratégique pour atteindre l’objectif constitutionnel de réduction du trafic routier alpin et pour améliorer la qualité de l’offre ferroviaire avec des incitatifs financiers.
- Etats-Unis. La compagnie ferroviaire américaine Amtrak en passe de battre des records de fréquentation en 2024. Amtrak prévoit de battre des records de fréquentation en 2024, atteignant pour la première fois les niveaux de 2019 malgré une capacité réduite. Au cours des sept premiers mois de l’exercice budgétaire, la fréquentation a augmenté de 20% et les revenus des billets de 10% par rapport à 2023.
- Tunisie : la Banque européenne d’investissement intervient avec 660 millions d’euros de prêts. 450 millions sont destinés à soutenir les PME, les infrastructures stratégiques (dont les ferroviaires) et les énergies renouvelables, et 210 millions à financer le “Corridor de développement économique de Tunisie” visant à améliorer les transports et réduire les disparités régionales.
- La Russie va construire une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Moscou et Saint-Pétersbourg. La Russie a approuvé la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse de 679 km entre Moscou et Saint-Pétersbourg, réduisant le temps de trajet de moitié à 2-2,5 heures, pour un coût de 2 300 milliards de roubles (25,97 milliards de dollars), financée par des fonds publics et privés.
- Transports : la Chine mise sur les trains à sustentation magnétique. La Chine prévoit de lancer plusieurs lignes Maglev d’ici 2035, permettant des trajets beaucoup plus rapides grâce à la sustentation magnétique, avec des temps de parcours réduits de moitié entre Pékin, Canton, Shanghai, Macao et Shenzhen. Ces trains, circulant à au moins 600 km/h, pourraient révolutionner le transport ferroviaire malgré les coûts de construction exorbitants.
- Le trafic ferroviaire au Gothard devrait reprendre normalement le 2 septembre. Le tunnel ferroviaire de base du Gothard, endommagé par un déraillement l’année dernière, sera entièrement remis en service le 2 septembre, après des réparations coûtant 150 millions de francs. Les CFF ont renforcé les mesures de sécurité et prévoient d’installer des détecteurs de déraillement, tout en attendant des directives européennes pour prévenir de tels accidents à l’avenir.
Régions
- La BEI signe un contrat de financement de 400 millions d’euros pour le ferroviaire dans les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. La Banque européenne d’investissement (BEI) a signé un contrat de prêt de 400 millions d’euros avec la Société Publique Locale SPIIT pour financer l’acquisition et la modernisation de matériels roulants en Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. Ce projet, visant à améliorer la qualité et la durabilité des services ferroviaires régionaux, inclut l’achat de 39 nouvelles rames et la rénovation de 97 automotrices existantes, et s’inscrit dans un plan global d’investissement estimé à 1,2 milliard d’euros.
- La fin du “Train des primeurs”, symbole du déclin du fret ferroviaire français. Le feuilleton fleuve continue. Le “Train des primeurs” entre Perpignan et Rungis, symbole du déclin du fret ferroviaire en France, est menacé d’abandon malgré des travaux de modernisation. La liquidation de Fret SNCF, la concurrence du transport routier et l’absence de repreneurs mettent en péril ce service crucial pour la décarbonation des transports.
- Retour sur le creusement du tunnel ferroviaire sous l’aéroport d’Orly. La ligne 14 du métro parisien a été prolongée avec un tunnel de 3 km creusé sous l’aéroport d’Orly, un exploit inédit en France. Ce projet complexe, achevé en trois ans sans perturber l’exploitation aéroportuaire, a mobilisé 300 collaborateurs pendant 69 000 heures et a nécessité une planification minutieuse pour garantir la sécurité et la continuité des opérations.
Entreprises
- Alstom décroche une grosse commande en Italie pour 70 à 100 locomotives. Alstom va fournir 70 locomotives à Mercitalia Rail pour 323 millions d’euros, avec une option pour 30 supplémentaires et 12 ans de maintenance. Les premières livraisons commenceront en 2025, avec certaines locomotives équipées de la technologie du dernier kilomètre (permettant de relier le réseau ferroviaire électrifié aux terminaux et aux ports) et seront fabriquées à Vado Ligure en Italie.
- Train urbain de Kinshasa : Alstom s’associe à l’AFC pour le projet MetroKin. Alstom s’associe à l’Africa Finance Corporation pour développer MetroKin, un projet de 300 km de réseau ferroviaire urbain à Kinshasa, visant à moderniser et améliorer la connectivité, y compris une section clé reliant la gare Centrale à l’aéroport international de N’Djili.
- Nouvelle rame, nouveaux horaires… SNCF et Deutsche Bahn reconduisent leur alliance commerciale. La coopération, plus que la concurrence, semble de mise entre France et Allemagne. La SNCF et la DB ont signé un nouvel accord pour renforcer leur technologie et le numérique, visant à améliorer la qualité de service et la durabilité du transport ferroviaire. Ce partenariat inclut des initiatives sur les trains digitalisés, l’intelligence artificielle, les systèmes de communication en 5G, et de nouvelles lignes entre la France et l’Allemagne.
- TGV: pourquoi la SNCF part à la conquête de l’Italie? La SNCF lancera en 2026 deux lignes à grande vitesse en Italie, visant 15% du marché en dix ans (elle a déjà obtenu 20% du marché espagnol avec ses OuiGo), avec des TGV M et un possible modèle low cost ou premium. Elle compte sur la croissance du marché italien, des péages moins chers, et l’expansion progressive de son offre pour atteindre ses objectifs.
- Trains de nuit: Midnight Trains jette l’éponge et déplore l’absence de soutien des pouvoirs publics. La startup renonce à lancer ses trains de nuit destinés à concurrencer les vols moyen-courrier entre Paris et de grandes villes européennes, en raison d’un manque de soutien financier des pouvoirs publics (“Aucun acteur financier n’a le ferroviaire”). Les porteurs du projet expliquent que l’absence d’incitations pour les nouveaux entrants dans le secteur ferroviaire a rendu leur initiative impraticable.
- Bilan d’une collaboration inédite pour la filière ferroviaire. Les acteurs de la filière ferroviaire, sous l’impulsion de SNCF Réseau et de la Fédération des Industries Ferroviaires, ont collaboré pour relever les défis de régénération du réseau, performance et transition écologique, en partageant des projets d’investissement, renforçant l’attractivité du secteur, et innovant pour une efficacité opérationnelle et écologique. Le programme a produit des actions concrètes, incluant un guide de solutions écologiques et des initiatives pour attirer et former de nouveaux talents, visant à améliorer la collaboration et la modernisation du réseau ferroviaire.
- Trains: l’espagnol Renfe renforce sa présence en France. Renfe a annoncé la création d’une filiale française, Renfe France, pour être compétitive sur le marché français et participer aux appels d’offres, notamment pour les lignes à grande vitesse et les services régionaux. Cette SAS, basée à Paris, soutiendra les projets de Renfe, incluant l’extension des services AVE vers Paris et le développement de lignes transfrontalières en Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. Elle travaille actuellement à l’homologation des trains AVE S-106 (Talgo Avril).
- La start-up Proxima va commander 12 TGV Alstom pour opérer dans le Grand Ouest. La start-up Proxima commandera 12 TGV Alstom pour relier Paris à Angers, Bordeaux, Nantes, et Rennes d’ici 2028, visant à transporter 10 millions de voyageurs par an. Fondée par Rachel Picard et financée à hauteur de 1 milliard d’euros, Proxima ambitionne de concurrencer la SNCF dans le Grand Ouest.En savoir plus sur RT en français: https://francais.rt.com/afrique/111613-tunisie-banque-europeenne-dinvestissement-intervient
Et aussi..
- Le fret ferroviaire peut-il vraiment doubler d’ici 2030 ? Cela semble improbable tant les plans successifs ont déjà échoué. Le fret ferroviaire peine à remplacer le transport routier en raison de la désindustrialisation, de la libéralisation du secteur routier, et de l’infrastructure logistique axée sur les routes, nécessitant des investissements importants et une meilleure intégration avec les plateformes logistiques pour inverser cette tendance.
- Un pays européen va instaurer des compartiments réservés aux femmes. En Slovaquie, la compagnie ferroviaire nationale a réservé certains compartiments de trains aux femmes, excluant les hommes sauf les jeunes garçons de moins de dix ans, suscitant une controverse similaire à celle de l’Allemagne en 2016. Ici comme ailleurs, une dynamique consistant à assurer un meilleur confort à bord des trains européens semble se dessiner.
- Un train solaire fait voyager les touristes en Argentine. L’Argentine a lancé “El Tren Turístico de la Quebrada de Humahuaca”, un train solaire reliant Volcán à Purmamarca pour promouvoir le tourisme durable et revitaliser les services ferroviaires dans la province de Jujuy. Alimenté par des panneaux solaires (couvrant vraisemblablement une petite partie des besoins) et équipé de batteries au lithium, ce train permet aux passagers de découvrir les sites culturels et naturels de la région tout en soutenant le développement durable.
- Avenir du fret ferroviaire : audition du PDG de SNCF Réseau. Le Sénat poursuit ses auditions de hauts responsables du monde ferroviaire, avec Matthieu Chabanel devant commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
- Pourquoi toutes les lignes ferroviaires partent de Paris. Petite leçon d’histoire au sujet de Louis-Philippe et de la SNCF 🙂
- LVMH s’associe à Accor pour le renouveau d’Orient Express. Le groupement doit accélérer la relance de la marque Orient Express, incluant des hôtels de luxe, des trains de prestige, et des voiliers VIP, avec des ouvertures prévues à Rome, Venise, et des lancements en 2025-2026. Cet investissement stratégique vise à combiner le savoir-faire de LVMH et Accor pour redéfinir le luxe dans le voyage. Les deux groupes continueront cependant à développer leurs marques respectives.