La Stratégie des rails
Et si l’Europe redessinait son réseau avec Starline, reliant 39 villes à grande vitesse d’ici 2040 ? Le continent fourmille de projets, même si seulement 7 % du trafic ferroviaire de l’UE est transfrontalier. Tandis que la guerre en Ukraine oblige les États à repenser leur logistique militaire, à l’image des 1,7 milliard d’euros investis dans la mobilité ferroviaire de défense, l’Algérie et le Maroc accélèrent leur développement ferroviaire grâce à des financements internationaux. Au Royaume-Uni, en revanche, l’absence de vision claire et le manque d’investissements freinent toute modernisation significative.
Dans ce contexte, la réforme budgétaire allemande et les incertitudes britanniques sur les infrastructures rappellent que la pérennité du rail dépend autant des choix politiques que des capacités industrielles. L’ouverture à la concurrence s’accélère, révélant les tensions entre monopoles historiques et nouveaux entrants. De l’IA au financement privé, les mutations en cours obligent les acteurs à anticiper une recomposition du secteur. Plus que jamais, le ferroviaire n’est pas seulement une industrie de transport : il est une clé de souveraineté et d’intégration économique.
Plus que jamais, cette industrie du passé puise sa légitimité dans le futur et ceux qui l’ignorent constatent vite que leur stratégie déraille.
L'actu de ce numéro
Dossiers
- La Starline reliera 39 villes européennes par des trains à grande vitesse d’ici 2040. Le groupe de réflexion 21st Europe propose Starline, un réseau ferroviaire de 22 000 km reliant 39 destinations à travers l’Europe, le Royaume-Uni, la Turquie et l’Ukraine, avec des trains circulant à 300-400 km/h. Ce projet ambitionne de réduire les temps de trajet, d’améliorer le confort et l’accessibilité des passagers et de renforcer la durabilité environnementale, tout en étant supervisé par une Autorité ferroviaire européenne pour harmoniser les infrastructures.
- Avec la guerre en Ukraine, le transport ferroviaire redevient un enjeu stratégique – Face aux besoins accrus de l’armée sur le territoire comme à l’international, la modernisation des infrastructures ferroviaires militaires en France nécessiterait près de 100 millions d’euros d’ici 2029, plus le budget actuel permet. Parallèlement, l’armée commande 250 nouveaux wagons pour renouveler son parc vieillissant. L’Europe investit 1.7 Md€ dans la mobilité ferroviaire militaire via le MIE (mécanisme pour l’interconnexion en Europe). Voir aussi : Comment le plan de réarmement européen va impacter le transport ferroviaire, et En Ukraine, les chemins de fer visés par une « cyberattaque de grande ampleur ».
- Les quatre freins au développement ferroviaire selon Alain Krakovitch : production des rames, saturation des lignes, des technicentres et des gares – Le directeur TGV-Intercités de SNCF Voyageurs estime que si les solutions existent pour les trois premiers obstacles, la saturation des gares reste la plus problématique, nécessitant des investissements lourds, notamment pour un projet de gare à Orly.
- La fréquentation des trains français augmente malgré le déclin de la grande vitesse. Le nombre de passagers a dépassé les niveaux de 2019 malgré une réduction de l’offre, notamment pour les TGV desservant les petites gares, tandis que la concurrence a limité la hausse des prix sur certaines lignes. L’augmentation des coûts d’exploitation des TER et le retard des appels d’offres régionaux, combinés à un besoin urgent d’investissements pour le renouvellement des infrastructures, posent des défis pour l’avenir du rail français.
L’international
- Les députés allemands réforment la Constitution pour financer la défense – Le Bundestag a adopté une modification du « frein à la dette » pour augmenter les dépenses militaires et créer un fonds de 500 milliards d’euros dédié aux infrastructures, en réponse aux défis géopolitiques actuels.
- L’hypothèse d’une ligne à grande vitesse Londres-Marseille en passant par Lyon est envisagée – Un partenariat stratégique entre Eurotunnel et Saint-Pancras Highspeed explore la création de nouvelles liaisons ferroviaires transmanches, incluant un possible trajet direct Londres-Marseille, dans le cadre d’un développement du trafic à grande vitesse entre le Royaume-Uni et l’Europe.
- Maghreb : un projet ferroviaire de 2000 km en gestation – L’Algérie lance un projet ferroviaire de plus de 2000 km pour mieux connecter le sud du pays aux grands pôles économiques et faciliter le transport des ressources naturelles. Cette expansion stratégique, actée par le président Tebboune, vise à renforcer l’intégration territoriale et à soutenir l’industrialisation nationale.
- Mégaprojet ferroviaire du Grand Casablanca : La Banque mondiale injectera 350 millions de dollars. Dans le cadre d’un plan d’investissement de 3,75 milliards de dollars visant à fluidifier la mobilité et renforcer le fret ferroviaire avant la Coupe du Monde 2030, la Banque mondiale accordera un prêt de 350 millions de dollars pour financer un sous-programme de 1,1 milliard de dollars consacré à la modernisation des infrastructures et au développement logistique. Voir aussi : Banque européenne d’investissement : 500 millions d’euros de financements au Maroc en 2024, et : Le Maroc commande 168 trains, dont 18 TGV, pour 2,8 milliards d’euros
- Les TGV vers la France, poule aux œufs d’or pour les CFF. Les liaisons vers Paris génèrent d’importants bénéfices pour les CFF grâce à la flexibilité tarifaire, tandis que l’entreprise prévoit d’acheter de nouveaux trains à grande vitesse et de renforcer ses lignes internationales, notamment vers l’Italie dès 2026. Malgré un endettement de 12 Md Francs, les CFF investissent aussi dans l’IA pour gérer les perturbations.
- La poste et la « SNCF » américaines dans le viseur d’Elon Musk. Elon Musk, à la tête de la commission Doge pour l’efficacité gouvernementale, plaide pour la privatisation d’Amtrak et de l’USPS, critiquant la qualité du réseau ferroviaire américain. Ses déclarations interviennent alors qu’Amtrak bat un record de fréquentation sous l’administration Biden, dont les investissements ferroviaires pourraient être remis en cause avec le retour de Donald Trump.
- La déclaration financière du Royaume-Uni ne stimule pas le secteur ferroviaire. La déclaration de printemps du gouvernement britannique n’apporte pas de solutions aux problèmes structurels de l’économie, affectant la demande de fret ferroviaire et menaçant l’emploi dans le secteur. En attendant la révision des dépenses en juin, les investissements publics restent limités, compromettant le développement des infrastructures de transport.
Régions
- Le train léger Draisy expérimenté pour ressusciter à terme la ligne Sarreguemines-Niederbronn – Conçu par Lohr et la SNCF, Draisy, un train électrique sur batteries, sera testé en 2027 sur Sarralbe-Kalhausen pour rouvrir de petites lignes ferroviaires. Plus léger et économique qu’un autorail classique, son prototype est en développement, avec des tests prévus dès juin 2024.
- « Pour la défense de nos lignes ferroviaires » : la région Bourgogne-Franche-Comté lance une pétition en ligne – Estimant que les investissements de SNCF Réseau privilégient les grands axes et que l’État finance insuffisamment leur rénovation, la Région se tourne vers la pétition. Un protocole de financement doit être renégocié d’ici juin, faute de quoi certaines lignes risquent de fermer.
- Paris-Milan : la ligne ferroviaire rouvre après 19 mois d’interruption ! Suite à l’éboulement de 15 000 m³ de roches en Maurienne en août 2023, la liaison Paris-Milan reprend le 31 mars 2025 après 19 mois de travaux menés par SNCF Réseau et le Département de la Savoie pour sécuriser la falaise et restaurer les infrastructures. Trois allers-retours quotidiens seront assurés par SNCF Voyageurs et deux par Trenitalia, rétablissant cette connexion stratégique entre la France et l’Italie.
- L’étoile ferroviaire en marche à Avignon. Le Grand Avignon lance une étude de 1 M€, attendue en janvier 2026, pour définir les ambitions de son réseau SERM, reliant 715 000 habitants à 26 gares. Ce projet structurant, intégré au CPER et au SCoT, vise une mobilité durable et un aménagement urbain optimisé à l’horizon 2032-2040.
Entreprises
- Colas Rail met la main sur le spécialiste de la signalisation SafeRail – En rachetant SafeRail le 28 février, Colas Rail renforce sa position sur le marché de la signalisation ferroviaire. Fondée en 2003, SafeRail, avec ses 119 collaborateurs et 14,9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, a contribué à plusieurs grands projets comme la LGV Paris-Lyon et le tram-train Nantes-Châteaubriant.
- NGE remporte un contrat pour la construction d’une voie ferrée en Estonie – Dans le cadre du projet Rail Baltica, le groupe français de BTP participera à la construction du tronçon nord de cette ligne stratégique de 213 km reliant Tallinn à Pärnu, dans un contrat de 394 millions d’euros visant à intégrer les États baltes au réseau ferroviaire européen.
- Renfe envisage de cesser toutes ses activités en France – En raison des obstacles imposés par la SNCF et de problèmes techniques avec son matériel roulant, l’opérateur espagnol dénonce des freins à la certification de ses trains à grande vitesse, tandis que la SNCF souligne l’incompatibilité et les défaillances des modèles utilisés par Renfe.
- Alstom remporte deux contrats pour fournir des tramways Citadis au Havre et à Strasbourg – L’entreprise livrera au moins huit tramways au Havre d’ici 2027 et 27 à Strasbourg à partir de 2026, avec des rames plus économes et écoconçues, ces derniers étant homologués pour circuler en Allemagne.
- Le Maroc confirme une commande de 18 TGV à Alstom grâce à un prêt français de 781 millions d’euros. Financée par un prêt du Trésor français, cette commande de rames Avelia Horizon à double niveau permettra d’étendre la ligne à grande vitesse de Tanger à Marrakech d’ici 2030, améliorant la connectivité et réduisant le temps de trajet tout en renforçant le partenariat ferroviaire franco-marocain.
- Pour Stadler Rail, une année 2024 sinistrée qui oblige les actionnaires à se serrer la ceinture (malgré des perspectives de redressement) – Les intempéries ont amputé le chiffre d’affaires de 350 millions de francs et réduit le bénéfice net de 60 %, entraînant un dividende en forte baisse, mais la demande reste soutenue et un rebond est attendu dès 2025.
- Enquête à l’encontre de la compagnie Ferrovie dello Stato pour avoir entravé l’arrivée de SNCF Voyages en Italie – L’autorité italienne de la concurrence soupçonne FS et sa filiale RFI d’entraver l’entrée de SNCF Voyages Italia sur les lignes à grande vitesse, en limitant son accès aux infrastructures ferroviaires alors que la SNCF prévoit d’y élargir son offre à partir de 2026.
- Bientôt un concurrent pour Eurostar? Une compagnie recherche des fonds pour de nouveaux trains vers le Royaume-Uni – Virgin cherche 700 millions de livres pour lancer une offre ferroviaire sous la Manche. Le groupe Virgin prévoit de relier Londres à Paris et Bruxelles dès 2029, avec une possible extension vers Amsterdam, pour concurrencer Eurostar. La société espagnole Evolyn est également intéressée par ce marché en pleine croissance, tandis qu’Eurostar vise 30 millions de passagers par an d’ici 2030.
- Gemini Trains, l’opérateur qui voudrait (aussi) se lancer sur les liaisons transmanche. Porté par une équipe d’experts menée par Lord Tony Berkeley, Gemini Trains ambitionne d’ouvrir dès fin 2028 des liaisons ferroviaires entre Londres, Paris et Bruxelles, avec une offre compétitive axée sur l’innovation en billetterie et des tarifs attractifs. Le projet doit encore lever des fonds et acquérir des trains de nouvelle génération pour concrétiser ses ambitions.
- Concurrence TGV: Proxima annonce (un peu vite) que ses trains à grande vitesse sont entrés en production. Proxima, nouvel opérateur ferroviaire visant un lancement en 2028 sur l’axe Atlantique, a sécurisé 1 milliard d’euros de financement et commandé 12 rames Avelia Horizon à Alstom, bien que leur production n’ait pas encore débuté. Destinée à proposer 10 millions de places supplémentaires vers Bordeaux, Rennes, Nantes et Angers, l’initiative se positionne comme l’un des projets de concurrence sur la grande vitesse les plus avancés.
- L’opérateur ferroviaire danois DSB lance un système de suivi des retards par IA à l’échelle nationale. Développé avec Netcompany, ce nouveau système remplace les estimations basées sur des règles par un modèle d’IA analysant les données historiques, atteignant une précision de 98 % pour les prévisions d’arrivée. Déployé en mars, il optimise l’information en temps réel pour les passagers via écrans, planificateurs de voyage et l’application DSB.
Et aussi..
- Abaisser la TVA sur les transports ferroviaires : la proposition de ce député pour des trains moins chers – Le député LFI Bérenger Cernon propose de réduire la TVA sur les transports ferroviaires de 10 % à 5,5 % afin de baisser les tarifs et encourager l’usage du train. Inspirée de l’Allemagne, cette mesure vise aussi à renforcer l’accessibilité des mobilités durables. Son inscription à l’ordre du jour reste incertaine.
- Réinventer le ferroviaire à l’ère de l’économie circulaire – Face aux défis économiques et environnementaux, Vapérail révolutionne l’industrie ferroviaire en appliquant les principes de l’économie circulaire à la gestion des infrastructures, optimisant la réutilisation des matériaux sans compromis sur la sécurité. Sous la direction de Stéphane Brunet, l’entreprise allie digitalisation et innovation pour prolonger la durée de vie des équipements, réduire les coûts et promouvoir une mobilité durable à l’échelle internationale.
- Japon : La première gare ferroviaire au monde construite à l’aide de la technologie d’impression 3D. Assemblée en un peu plus de deux heures à Hatsushima, cette gare 3D préfabriquée (une structure de 5,5 tonnes composée de la base et des murs, ainsi qu’un mur décoratif de 2,5 tonnes avec un motif mandarine – une spécialité d’Arida – et un toit incurvé de 6 tonnes) réduit considérablement le temps et la main-d’œuvre nécessaires, promettant des économies sur les coûts et la maintenance.