[#INTERVIEW] Philippe Kerbiriou

Robustesse du réseau : La caténaire

Dans cette série d’entretiens, nous nous intéressons à la notion de réseau robuste. S’il paraît évident que cette robustesse est désirable, nous essaierons ici de déterminer, spécialité par spécialité, les causes de son érosion, les risques associés à cette perte de qualité, et les solutions à mettre en place pour y rémédier. Dans ce numéro, l’expert Philippe Kerbiriou nous parle plus spécifiquement de l’mpact de la robustesse du système sur les infrastructures : cas particulier des installations fixes de traction électrique (IFTE)

Philippe, on parle peu des caténaires dans l’entretien du réseau, comparé à la voie, la signalisation, les passages à niveau … Pourquoi s’y intéresser ?

[Philippe Kerbiriou] Il n’y a rien de spécifique à la caténaire qui justifie qu’on s’y intéresse plus qu’à un autre domaine de l’infrastructure ferroviaire. Mais c’est justement parce qu’on en parle peu, qu’elle est souvent un peu négligée dans les projets de régénération, qu’elle est un des points de fragilité parmi les plus fréquents du réseau.

 

Quel âge on les caténaires du réseau ?

[Philippe Kerbiriou] Les IFTE (installations fixes de traction électrique), pour leur partie caténaire, sont conçues pour normalement fonctionner 40 à 50 ans (structure) hors les éléments d’usure (fil de contact, pièces mobiles, …). Dans la pratique, sur le RFN (réseau ferroviaire national), les éléments de structure sont pour beaucoup, âgés de plus de 50 ans (jusqu’à 100 ans maintenant sur la ligne de Paris à Orléans par exemple). Même la LGV Paris-Lyon a maintenant passé les 40 ans d’existence !

catenaires sur les voies en entrée de gare
(c) Jose Matin Ramirez Carasco

Quelles sont les limites de cette infrastructure ?

Les lignes du RFN sont électrifiées en 1.5kV (pour les électrifications les plus anciennes, et des prolongements plus récents) ou en 25kV (la « norme » aujourd’hui).

Compte-tenu des puissances demandées pour la traction des trains modernes, le 1.5kV a atteint des limites sur la majorité des lignes structurantes du RFN. Les incidents de captage (ex : en période de givre) ne sont ni rares ni anodins. La géométrie vieillissante et la conception même de la caténaire dite « compound » la rendent fragile lors de températures extrêmes. La dernière génération de caténaire 1.5kV dite « CSRR » (totalement régularisée) semble pouvoir apporter un bon niveau de fiabilité mécanique/dynamique à l’avenir.

Par contre, depuis l’origine des électrifications en 25kV, les caténaires ont apporté dans leurs évolutions un meilleur comportement « électrique » et mécanique /dynamique(régularisation complète, évolution constante de la conception, des matériels et matériaux). Les dernières évolutions des types de caténaires 25kV (ligne classiques et LGV) apportent un niveau de fiabilité important (à la mise en service et dans le temps, avec une maintenance adéquate).

Aujourd’hui, l’infrastructure doit pouvoir répondre à des besoin différents suivant qu’il s’agisse de trains lourds (marchandises aux machines puissantes sur 1 pantographe), de trains rapides (TGV, automotrices, souvent puissants mais sur plusieurs pantographes), de train de dessertes fréquentes (RER, TER, aux multiples redémarrages,  sur plusieurs pantographes), ce qui demande que la caténaire puisse répondre en permanence à de nombreux critères fonctionnels pour une ligne donnée.

Donc, il faut équiper tout le réseau en 25kV ?

A terme, probablement  (dans la limite du techniquement et financièrement possible). Mais il faut également soigner la maintenance. La maitrise du couple pantographe/caténaire a une importance primordiale dans le qualitatif du captage et donc de la fiabilité du système.

Les vitesses pratiquées et l’usage de trains multi-pantographes (rames automotrices accouplées) perturbent d’autant le comportement de la caténaire et donc accélèrent son vieillissement. Les montées importantes en température (dues aux intensités appelées en 1.5kV) produisent des modifications chimiques dans les conducteurs (particulièrement marqués pour les fils de contact) qui réduisent la durée de vie de ces éléments (parfois rapidement). Le frottement des pantographes sur les fils de contact (même sous contrainte mécanique maitrisée) use ces fils, et parfois rapidement avec des effets combinés avec les appels de courant en 1.5kV (usure « électrique »).

La qualité de la maintenance autant côté caténaire que côté pantographe a un impact énorme sur la pérennité du système. L’arrivée des nouveaux transporteurs a été l’occasion de remettre l’accent sur le suivi régulier et fréquent de l’état des pantographes par exemple.

L’organisation de la maintenance est pour beaucoup sur le maintien de la fiabilité dans le temps d’une caténaire sensible en particulier aux effets dynamiques (passage des pantos, vent, …) et de température (contraintes mécaniques induites).

Quels sont les risques, en cas d’incident ?

Le risque le plus fréquent sur une ligne classique est la rupture du fil de contact. C’est sans gravité, mais entraine à minima la perte de plusieurs heures d’exploitation. Sur une LGV, un TGV peut dans la pratique tout arrâcher sur 3 à 4km et occasionner une fermeture de plusieurs jours d’une voie de la ligne. Ceci dit, les LGV sont plus récentes que les lignes classiques et sont sous haute surveillance, pour éviter ce type d’incident.

Quels sont les freins à cette maintenance ?

Il y a actuellement incompatibilité et conflit entre la fiabilité des installations, leur vieillissement, le niveau de maintenance nécessaire (souvent en deçà du nécessaire au regard de leur état actuel), l’impossibilité d’accorder (par les autorités organisatrices) des périodes de travaux (régénération ou investissement en nouvelle infrastructure) à la hauteur de ce qui est nécessaire (trop courtes périodes nocturnes ou week-end). Ce sont les principaux freins. Tout est affaire de compromis entre intérêts conflictuels.  Le niveau de la maintenance réalisée est aussi grandement dicté par les moyens financiers, matériels et humains qu’il est possible d’engager sur ces opérations.