Lignes d'influence
Le ferroviaire s’impose comme un levier central des politiques industrielles, énergétiques et territoriales. Les investissements à venir — en France comme à l’international — engagent bien plus que le seul secteur des transports : ils conditionnent l’organisation des filières, les équilibres géographiques, et l’autonomie logistique.
Tunnel Maroc-Espagne, Rail Baltica, lignes capillaires ou corridors fret : chaque projet traduit une intention stratégique. Pour les acteurs publics et privés, l’enjeu est désormais d’aligner investissements, technologies et partenariats autour d’objectifs clairs. Le ferroviaire n’est plus une question technique. C’est une affaire de société.
L'actu de ce numéro
Dossiers
- Infrastructures ferroviaires : le plaidoyer de la SNCF pour des investissements massifs. La SNCF appelle à des investissements massifs de l’État, estimant qu’un milliard d’euros par an est nécessaire pour éviter l’effondrement de la qualité du réseau ferroviaire français, déjà menacé par un sous-investissement chronique. 4 000 kilomètres de lignes pourraient connaître une dégradation significative dès 2028, avec des conséquences directes sur 2 000 circulations quotidiennes. Le groupe propose plusieurs pistes de financement, notamment l’utilisation des fonds issus des quotas d’émission de CO2 et la réallocation des recettes autoroutières, pour répondre aux besoins de modernisation du réseau.
- Quel avenir pour le financement du système ferroviaire français ? François Bayrou a lancé une conférence pour trouver des solutions de financement afin de moderniser le réseau ferroviaire vieillissant de la France, qui nécessite 1,5 milliard d’euros supplémentaires par an pendant 10 ans. Parmi les solutions, l’État et la SNCF envisagent de mettre fin aux concessions autoroutières historiques et de réintroduire une taxe carbone pour générer des fonds, alors que l’ouverture à la concurrence pourrait réduire les bénéfices nécessaires pour l’entretien du réseau.
- Jean-Pierre Farandou : Retour sur six ans de mandat d’un président cheminot. Le PDG quittera sa « grande famille » après un mandat marqué par des crises majeures, une réforme structurelle du groupe, et une stratégie offensive face à l’ouverture à la concurrence. Sous sa direction, la SNCF a redressé ses finances, investi dans le matériel roulant et amorcé un recentrage sur l’international pour compenser la perte progressive du marché domestique. Voir aussi : Interview video.
- Entre Pékin et Washington, Rabat tisse une ligne de crête stratégique avec en vue ses priorités souveraines, au premier rang desquelles la question du Sahara, dit le New York Times. Le Maroc s’impose comme un hub industriel et logistique stratégique entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, attirant massivement les investissements chinois grâce à ses infrastructures avancées et ses accords commerciaux avec l’UE et les États-Unis. Malgré cette attractivité, Rabat maintient une diplomatie prudente pour équilibrer ses partenariats avec Pékin, Washington et Bruxelles, tout en préservant ses priorités souveraines, notamment la question du Sahara. Voir aussi : Comment le Maroc, grâce à la Coupe du monde 2030, est devenu le fer de lance d’un arrimage transméditerranéen et catalyseur d’un arc ferroviaire atlantique euro-africain.
L’international
- Rail Baltica, le chantier ferroviaire à 24 milliards d’euros (et 8,9 centimètres) qui veut protéger l’Europe de Poutine. Le projet vise à connecter les capitales baltes au réseau ferroviaire européen pour contrer la faiblesse stratégique des infrastructures héritées de l’ère soviétique, qui compliquent le transport rapide des renforts de l’OTAN face à la Russie. Avec un coût estimé à plus de 24 milliards d’euros, ce chantier a été retardé et nécessite encore 8 milliards de financement.
- Le système ferroviaire espagnol en difficulté, malgré les milliards de l’UE. Le gouvernement fait face à des critiques pour les défaillances du réseau ferroviaire espagnol, malgré les fonds reçus pour sa modernisation, exacerbées par des incidents récents et des scandales de corruption. Elles soulignent une mauvaise gestion et un détournement des fonds, tandis que le gouvernement défend le système.
- La banque islamique de développement injecte 3 milliards de dollars en Algérie. La BID annonce un cadre de coopération de 3 milliards de dollars sur trois ans en Algérie, principalement pour le secteur ferroviaire, avec pour ambition de doubler ses financements actuels. Les réunions annuelles de la BID à Alger visent à renforcer la coopération économique et attirer de nouveaux investissements, avec plusieurs accords attendus. Voir aussi : À l’inverse du Maroc, l’Algérie fait le pari raisonné du train rapide (deux visions du développement ferroviaire) et Abdelmadjid Tebboune très embarrassé par une dette de 3 milliards de dollars contractée auprès de la BID.
- Vietnam. Investissement de 61,35 milliards de dollars pour la ligne ferroviaire Nord-Sud. La mise en service est prévue pour 2030 et un financement mixte inclut des prêts étatiques. Ce projet vise à moderniser l’industrie ferroviaire vietnamienne et à stimuler le développement économique régional grâce à des partenariats technologiques internationaux et au développement de zones urbaines autour des gares.
- Indopacifique : Emmanuel Macron conclut 9 milliards d’euros de contrats avec le Vietnam. Lors de la visite d’État au Vietnam, CMA CGM a annoncé un investissement de 600 millions de dollars pour construire, avec Saigon Newport Corporation, un terminal portuaire en eau profonde à Hai Phong, opérationnel en 2028. Ce projet s’inscrit dans un ensemble de contrats franco-vietnamiens totalisant 9 milliards d’euros, renforçant les liens économiques bilatéraux.
- Maroc–Royaume-Uni : 48 milliards de dirhams d’échanges, 595 entreprises impliquées. Les échanges commerciaux entre le Maroc et le Royaume-Uni ont atteint 3,8 milliards de livres en 2024, avec un déficit au détriment du Royaume-Uni, tandis que les investissements et la coopération sectorielle (agriculture, mobilité ferroviaire, énergies renouvelables) connaissent une progression constante. L’accord bilatéral en vigueur depuis 2021 soutient cette dynamique par des préférences tarifaires et un cadre réglementaire stabilisé.
- Tunnel sous le détroit de Gibraltar avec le Maroc : Madrid alloue 1,6 million d’euros à une nouvelle étude de faisabilité. L’Espagne relance une étude de faisabilité plus réduite pour le projet de tunnel ferroviaire sous-marin de 38,5 km reliant l’Andalousie au nord du Maroc, malgré des défis géotechniques et financiers majeurs. Inspiré du tunnel sous la Manche, ce projet stratégique vise à renforcer le corridor euro-méditerranéen via un modèle économique combinant péages, logistique et partenariats public-privé.
- France-Suisse : Lancement de la démarche du SERM. Le projet de Service Express Régional Métropolitain (SERM) vise à relier le Grand Annecy à Genève via Annemasse et le Pays de Gex, au sein d’une agglomération transfrontalière de 1,3 million d’habitants. Porté par des enjeux de mobilité durable, le projet est en phase de préfiguration avec une possible mise en service à l’horizon 2050.
- Clap de fin du ferroutage dans les Alpes suisses fin 2025, une forme de transport plus assez rentable. Le service de ferroutage RAlpin, qui permettait aux camions de traverser les Alpes suisses par rail entre Fribourg-en-Brisgau et Novare, cessera fin 2025 pour raisons économiques, aggravées par les perturbations du réseau ferroviaire allemand. Malgré une demande stable et des aides publiques, le transport de camions entiers sera abandonné dès 2026, ne laissant que le transport de conteneurs actif.
- La Tanzanie adopte un budget de 1 milliard $ pour renforcer le secteur des transports. L’investissement en 2025/2026 servira à moderniser ses infrastructures aériennes, maritimes, ferroviaires et fluviales, incluant la construction de navires et la formation spécialisée. Ces initiatives visent à transformer le pays en plaque tournante régionale logistique, facilitant le commerce avec les pays voisins enclavés.
- L’Égypte veut accélérer son projet de liaison terrestre direct à la péninsule arabique. L’Égypte finalise les plans d’un pont ou tunnel reliant le Sinaï à l’Arabie saoudite, visant à créer un corridor terrestre stratégique entre l’Afrique et la péninsule arabique. Ce projet logistique ambitieux, intégré à un vaste développement ferroviaire, pourrait transformer les échanges intercontinentaux, malgré des défis géopolitiques, écologiques et financiers.
Régions
- De nouvelles rames pour la ligne TER Marseille-Toulon-Nice et une meilleure offre de services. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur ouvre ses trains régionaux à la concurrence, avec Transdev opérant la nouvelle ligne Marseille-Toulon-Nice, doublant l’offre de trains grâce à des rames Alstom, tout en maintenant le budget stable. Un centre de maintenance à Nice et des réductions d’abonnements accompagnent cette initiative pour améliorer le service.
- Routes, ferroviaire et fret maritime : François Bayrou et 3 ministres à Marseille. Le gouvernement lance à Marseille une série de consultations sur l’avenir du financement des infrastructures de transport (hors vélo et aérien), axées sur les routes, le ferroviaire et le fret maritime, avec un objectif de rééquilibrage budgétaire d’ici 2040. Les priorités incluent la modernisation du réseau ferroviaire, la décarbonation, et la gestion post-concession des autoroutes, sans engagements financiers précis pour l’instant.
- Fermée depuis 10 ans, cette ligne ferroviaire mythique des Pyrénées rouvre enfin. La Région Occitanie rouvre la ligne ferroviaire Montréjeau-Luchon le 22 juin après dix ans de fermeture, avec six allers-retours quotidiens pour désenclaver la haute vallée et promouvoir un transport décarboné. Ce projet, financé à hauteur de 67 millions d’euros par la Région, marque une première gestion régionale d’une ligne ferroviaire en France.
Entreprises
- Amazon innove avec Rail Logistics Europe (groupe SNCF) pour transporter ses colis à grande vitesse par TGV. Le service vise à transporter plus d’un demi-million de colis par an tout en réduisant les émissions de CO2 et le trafic routier. Cette initiative s’inscrit dans la stratégie d’Amazon de décarbonation de son réseau logistique, avec un objectif de zéro émission nette de carbone d’ici 2040.
- Ferroviaire, Alstom : crissement sur les rails. La Bourse sanctionne Alstom en raison de prévisions décevantes sur les flux de cash, malgré la confirmation de ses objectifs financiers à moyen terme et un désendettement en cours. L’entreprise consomme encore beaucoup de trésorerie, mais un rebond est anticipé pour 2026-2027.
- Alstom profite de la soif de trains pour revenir aux bénéfices. Alstom a réalisé un bénéfice net de 149 M€ lors de l’exercice 2024/25, avec un CA de 18,5 Md€ et des flux de cash-flow en forte hausse à 502 millions. Le groupe prévoit une croissance organique de 3% à 5% pour 2025-2026, tout en continuant à se désendetter et à améliorer sa rentabilité malgré les défis macroéconomiques et géopolitiques.
- Alstom engage plus de 150 millions d’euros pour accroître la production de ses sites français après la commande marocaine. Alstom investit plus de 150 millions d’euros pour doubler ses capacités de production à La Rochelle et Valenciennes, en réponse à la forte demande pour les rames à très grande vitesse Avelia Horizon, modèle déjà adopté par la SNCF.
- SNCF Réseau et Haropa Port renouvellent leur partenariat pour renforcer le fret ferroviaire face à la hausse du trafic maritime, notamment des conteneurs, qui pourrait tripler en dix ans. Le plan s’appuie sur des itinéraires ferroviaires alternatifs vers Le Havre afin de favoriser le report modal et désengorger l’Île-de-France.
- Le groupe italien Ferrovie dello Stato prévoit une liaison à grande vitesse entre Paris et Londres d’ici 2029. La liaison à grande vitesse Paris–Londres via le tunnel sous la Manche briserait le monopole d’Eurostar détenu par la SNCF. Avec un investissement d’un milliard d’euros et un partenariat avec Evolyn, ce projet s’inscrit dans une volonté d’ouverture du marché, encouragée par Eurotunnel et les autorités ferroviaires britanniques.
- Systra affiche des résultats « historiques » pour 2024. Systra, passée sous le contrôle de Latour Capital et Fimalac en 2024, annonce un chiffre d’affaires record de 1,25 milliard d’euros (+17 %) et vise une forte croissance internationale, notamment par acquisitions. Déjà présente à 80 % à l’étranger, l’entreprise ambitionne d’atteindre 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2030.
- Transport ferroviaire : vers le retour d’une ligne Marseille-Londres ? Trenitalia projette de lancer une ligne ferroviaire directe entre Marseille et Londres, passant par Lyon, en 6h30, concurrençant la SNCF malgré les défis logistiques liés à l’adaptation de la gare de Marseille et aux formalités douanières post-Brexit. Eurostar avait tenté une liaison similaire saisonnière entre 2015 et 2019, abandonnée pour des raisons de rentabilité et de complexité. Voir aussi: Un train direct entre Londres et la Suisse d’ici 2030, le projet sur les bons rails.
- Croissance fulgurante, investissements massifs et recrutements pour le leader du ferroviaire CAF : « Nous allons passer à 3 ou 4 tramways par mois ». CAF, basé à Bagnères-de-Bigorre, investit 10 millions d’euros et recrute pour tripler sa production de tramways, répondant à une forte demande en France et à l’international. Le site est désormais un centre clé pour la fabrication de tramways et trains courts.
- La compagnie ferroviaire South Western Railway devient le premier opérateur renationalisé au Royaume-Uni. Le gouvernement travailliste britannique a lancé une campagne de renationalisation du rail, avec South Western Railway comme premier opérateur repassant sous contrôle public pour améliorer le service aux passagers. Cette décision vise à regrouper les opérateurs privés dans « Great British Railways » afin de mettre fin à 30 ans de privatisation jugée inefficace et coûteuse.
Et aussi..
- Il parcourt plus de 500 km accroché à un TGV lancé à 300 km/h : un miraculé retrouvé vivant à l’arrivée. Un homme de 43 ans a voyagé clandestinement à l’extérieur d’un TGV entre Paris et Valence à plus de 300 km/h, avant d’être découvert en gare, en état d’hypothermie. Refusant de décliner son identité, il a été hospitalisé, et les enquêteurs supposent qu’il s’est dissimulé dans un dépôt ferroviaire pour monter à bord.
- Trains automatisés à la demande : Sans cela, les lignes secondaires seront mortes. Des chercheurs du FH Campus Vienna développent un train autonome et à la demande pour revitaliser les lignes rurales autrichiennes peu fréquentées, combinant intelligence artificielle, capteurs lidar et commandes à distance. Le principal obstacle reste l’adaptation du cadre réglementaire européen pour autoriser l’usage de l’IA dans les systèmes critiques de sécurité ferroviaire.
- Chez Siemens Mobility, la GenAI rapproche l’IT des métiers. Depuis 2022, la DSI de Siemens Mobility s’est transformée d’un service perçu comme purement technique en un acteur stratégique grâce à l’IA générative, en renforçant la collaboration avec les métiers et en favorisant l’adoption par l’exemple, la formation et l’écoute. Cette transition repose sur une approche humaine du changement, une communication active avec les utilisateurs, et une gouvernance souple des cas d’usage IA, tout en gérant prudemment les attentes autour de ses limites.
- Et si on installait des panneaux photovoltaïques entre les rails de train ? En Suisse, un tronçon test vient d’être inauguré. Des panneaux photovoltaïques amovibles ont été installés sur un tronçon ferroviaire en Suisse, produisant de l’électricité réinjectée dans le réseau avec l’ambition future d’alimenter directement les trains. Cette innovation, adaptée aux contraintes ferroviaires, pourrait se déployer largement grâce au potentiel des milliers de kilomètres de voies ferrées en Europe.